lluBiE 0009 : avec le temps...



Salutations,

 

 

Je ne sais pas pour vous mais, dernièrement, j’ai de plus en plus de mal à sentir le pouls de la musique.

Je ne veux pas dire par là qu’elle est morte, ou même moribonde…ou toute autre assertion tout aussi vide de sens...

Ce que je veux dire c’est que le paradigme musical a irrémédiablement changé et qu’il est maintenant impossible, pour moi du moins, de déterminer ce qui la nourrit, ce qui l’anime et la fait évoluer. 

Il semble pourtant me rappeler que, d’antan, elle suivait des mouvements clairs et déterminés par une sorte de zeitgeist quelquefois éphémère mais toujours indéniable!

Histoire de ne pas ennuyer à mort les plus jeunes d’entre vous avec les anecdotes d’un autre siècle, je ne vais pas revenir sur une histoire maintes fois mieux contée ailleurs ! 

Qu’il soit simplement dit ici que l’avènement de ‘MTV’ a, entre autres, permis la pérennisation d’un système qui fabriquait des stars aussi vite que les modes pour la pop, le rock ou le rap se renouvelaient.

Et puis ?

Et puis « Boum »

Là encore, pas la peine d’en faire un essai de 300 pages : Internet est arrivé.

 

Depuis, la lente érosion du système mentionné plus haut a été inéluctable, et ce, alors qu’il semblait éternel : les vieilles combines de surenchère de Madonna génèrent maintenant plus de pitié que de ‘like’ sur Instagram.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que la machine à recycler n’a pas continué à fonctionner à plein (You)tube ! Et selon votre sensibilité, vous pouvez sans peine trouver sur la toile le dernier ersatz en vogue de votre période préférée...

C’est d’ailleurs cette abondance illimitée de ressources qui a fini par donner à la musique cette instabilité erratique et hyperactive qui la caractérise aujourd’hui : personne ne sort du lot, car il est devenu quasiment impossible de cristalliser durablement une époque qui ne cesse de se réinventer au gré des trends.

 

Vous l’aurez compris, j’ai trouvé une exception.

 

Il y a sans doute un épiphénomène qui n’a pas changé...Et qui ne changera jamais : le besoin de se rattacher à quelque chose de plus grand que soi-même...

C’est, selon moi, ce qui guide la plupart des démarches artistiques, et musicales notamment : communiquer une somme d’émotions pour en faire collectivement la catharsis.

Ce qui m’amène enfin au sujet : Billie Eilish.

 

Ceux qui me connaissent vous diront sans trainer que consacrer un billet sur elle est à peu près aussi cohérent avec mes prédilections que si je décidais de parler de l’art et la manière de décorer ses ongles, mais que voulez-vous ? Ma sensibilité musicale est à peu près aussi flexible qu’une gymnaste russe...

Je ne vais pas perdre mon temps à tenter de définir sa musique : sa pop immédiate est d’une efficacité redoutable... Mais je conviens sans problème que c’est sujet à débat… Ce qui l’est moins, c’est le message inspirant qu’elle offre à toute une génération. (J’y viens dans quelques instants.)

 

Eilish avait déjà piqué mon intérêt en devenant autre chose que la quasi-totalité de ses congénères (c’est-à-dire une star des réseaux sociaux qui fait de temps en temps de la musique ou vice-versa) : une nouvelle itération de ce qu’on appelait une « popstar » au 20ème siècle.

Parce qu’il convient de bien comprendre ce que j’essaie de dire, je vais insister :

Loin de moi l’idée de dire qu’il n’y a plus de « Star » dans cet ère 2.1 -le concept a même explosé à outrance ; mais l’idolâtrie telle qu’on la connaissait il y a 30 ans (qui parait d’ailleurs presque innocente aujourd’hui) a bel et bien disparu.

De fait, son avènement avec « When we fall asleep, where do we go ? » me semblait être une sorte d’anomalie, une résurgence d’un concept hors de son temps.

Néanmoins, à voir et entendre les milliers d’adolescent(e)s reprendre en hurlant ses paroles, l’empêchant presque de chanter concert après concert, le doute n’était pas permis : je me trouvais bien face à un phénomène qui, au mieux, était en phase terminale ; maintenu moribond par quelques influenceurs.

Une partie non négligeable de la planète a tout à coup accordé une importance immodérée aux moindres paroles et gestes de la jeune femme, la proclamant porte-parole d’un mouvement trop informe pour être défini : entre les votants aux ‘Grammy Awards’ consacrant son album et une horde de followers sur Instagram pendus aux moindres fluctuations de la nuance de vert de ses cheveux ; Billie Eilish a rapidement eu le monde, dans tout ce qu’il lui reste de réel ou virtuel, à ses pieds.

En clair, elle aurait pu sortir à peu près n’importe quoi ensuite et l’illusion du succès aurait perduré certainement encore des années...

(Petite parenthèse pour dire que, une fois n’est pas coutume, je partage l’avis de beaucoup : il n’y a qu’un seul autre artiste dans l’histoire musicale récente à avoir reçu la même bénédiction maudite.

Ouais, je parle de Cobain.

Je ne vais pas m’étendre inutilement sur la comparaison, là encore, ce postulat a été maintes fois débattu ailleurs...

Mais cela valait incontestablement la peine de le noter… Fin de parenthèse donc !) 

Je confesse donc que j’étais assez curieux de voir ce que le duo (son frère est dans l’ombre, mais a une part prépondérante dans son succès) ferait du crédit accordé par ce panel allant de la génération Y à Z en passant par les ‘millennials’.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’ai pas été déçu : « Happier than ever » prouve avec brio que la blonde sait où elle va, et surtout, où elle ne veut pas aller.

En effet, son deuxième LP, loin de verser dans la surenchère ostentatoire ou de réutiliser une recette éprouvée, est avant tout une chronique de tout ce qui a changé dans sa vie ces deux dernières années… Chronique qui, pour tracer un autre parallèle improbable, n’est pas sans me rappeler la formidable introspection sur le succès à laquelle se livrait Kendrick Lamar sur ‘DAMN’… Bref.

Choisissant de traiter son album comme un exutoire des innombrables injonctions qu’elle subit (et par extension, que subissent les femmes de sa génération) Eilish y livre un compte rendu souvent touchant, parfois glaçant de sa notoriété fulgurante.

La sincérité et la percussion des images qu’elle invoque en font un témoignage passionnant, celle d’une jeune femme qui essaye de vivre une vie normale dans des circonstances dignes d’Orwell.

Sans jamais pleurnicher, avec une saine dose de révolte, elle questionne la manière dont elle est scrutée ; passant en revue ses aspirations dans un schéma de pensée qui exhorte à l’amour-propre et au respect de soi-même.

Sans prêcher, elle s’efforce de déconstruire le discours anxiogène imposé aux ados qui doivent avoir démystifié leurs envies sans même avoir eu le temps de vivre.

Pour cette raison et pour d’autres (notamment une production qui a le bon goût de ne pas être boursoufflée tout en brassant les genres et les influences),et nonobstant quelques passages poussifs, cet album mérite qu’on lui prête une oreille attentive ; que l’on dépasse les préjugés qu’on pourrait avoir pour une gosse populaire en 2021 pour y découvrir (ou pour y confirmer, c’est selon) que cette jeunesse a décidément des choses intéressantes à dire !

 

 

En vous remerciant, bonsoir !

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