criTiQue 0006 : ça ira mieux demain...

Salutations, 

A bien des égards, le moins que l’on puisse écrire, c’est que Mark Oliver Everett (alias ‘E’) est seul sur sa planète : Seul, car dans le paysage musical ‘mainstream’, sa discographie sort singulièrement de la masse. Seul, parce que le personnage qu’il a construit fait, quasiment depuis le début, figure d’épouvantail dans un monde formaté et enfermé dans la culture du ‘succès’. Seul,surtout, car son ‘groupe’ (‘concept’ serait, je pense, un terme plus approprié…bref) est un outil derrière lequel il se cache pour générer ses abstractions : Chaque album de ‘eels’ est un puzzle qui se suffit à lui-même mais ce puzzle est aussi une pièce qui vient s’imbriquer dans l’édifice que E est en train de construire. C’est pour cela qu’il est toujours difficile de parler du dernier album en date de l’animal : ils font partie d’un tout qu’il est très tentant de traiter comme une et une seule œuvre car ils achèvent ensemble une cohérence rarement atteinte par un artiste. C’est particulièrement vrai pour les trois derniers efforts studio qu’il vient de sortir (en l’espace de dix-huit mois) et, comme de juste, je ne peux pas parler du dernier sans parler des deux autres. ‘Tomorrow Morning’ clôture un triptyque commencé avec ‘Hombre Lobo’ et poursuivi avec ‘End Times’. Ambition avouée : Examiner trois émotions profondément humaine que sont la naissance du désir (HL), le sentiment de perte (ET) et la renaissance de l’espoir (TM) Cette ‘trilogie’ – qui n’en est pas vraiment une – est la parfaite illustration de ce que j’essaie de dire un peu plus haut : Les trois LP ont été conçus pour fonctionner seuls ; ils n’ont pas besoin des autres pour être entiers. Néanmoins, mis bout à bout, ils forment une structure parfaitement harmonique. Il serait tentant d’essayer de les relier par un schéma narratif ‘début->fin’ mais ce serait, à mon sens, une erreur. Car, en fin de compte, ils peuvent facilement être écoutés dans le désordre sans trahir l’intention originelle de E (explorer trois sentiments qui s’enchevêtrent souvent les uns dans les autres, formant une sorte de boucle sans fin) ‘Hombre Lobo’ avec son garage rock teinté de moments de belle innocence et de rêve d’indolence est facilement le plus accessible des trois. Nous y rencontrons un ‘Homme-loup’ (qui est en fait le ‘Dog faced boy : le gamin à la figure canine de l’album ‘Souljacker’) qui fait la court à sa belle, tentant par tous les moyens possibles, tantôt de manière douce et romantique, tantôt de manière fougueuse et charnelle, de s’attirer ses faveurs. Tour à tour résigné, rêveur et conquérant, notre héros croit que tout le monde mérite le bonheur et il ne pense pouvoir l’atteindre qu’avec elle. Nous le quittons sans savoir si ses efforts sont (ou seront) récompensés mais là n’est pas l’intérêt. Il a compris qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait, qu’il s’était donné sans tricher et qu’il ne pouvait qu’attendre sa décision… C’est un homme au bord du gouffre que nous trouvons dans ‘End Times’ (est ce le même ? Libre à vous de le penser…). Dès le début, le ton est posé : nous sommes témoins du deuil d’une relation, d’une époque et de la joie qui les accompagnait mais aussi de la perte de l’espoir en sa faculté à trouver sa place dans un monde qui change et la perte de repères que l’on pensait indélébiles. Le protagoniste traîne sa mélancolie, ses regrets et ses remords au long des quatorze plages qui constituent cet album d’une grâce à couper le souffle. Des complaintes mises en perspective par une musique dépouillée mais riche, magnifique et fragile dans sa nudité avec, pour conclure, le timide bourgeonnement de la guérison, la réalisation de son envie de (re)vivre… Et enfin, le dernier venu : ‘Tomorrow Morning’. C’est avec une teinte d’électronique (boîte à rythme et autres sons synthétiques) que nous est présentée cette ode au renouveau. Que se passe-t-il quand on se réveille un matin étrangement purifié de ses démons, inexplicablement rempli d’optimisme ? C’est ce dont traite cet album qui essaye de capturer ce moment où tout change dans notre tête, nous aiguillonnant irrésistiblement dans un lent crescendo (avec ses petites rechutes) vers le renouveau de l'espoir (presque psychédélique) pour terminer sur une célébration des « mystères de la vie ». Voilà notre gus se sentant, à nouveau, d’attaque. Prêt à aimer, tenter de trouver le bonheur et risquer de le perdre… Bien ancrés sur ces trois petits miracles musicaux on sent, une fois de plus ai-je envie de dire, tout le travail et le génie de cet homme qui se fait appeler ‘E’ : Derrière la simplicité de ses chansons - qui vous font instantanément l’effet d’un classique – se cache une minutie et une volonté indéfectibles. Mark Everett s’éreinte sur chaque accord pour nous en restituer seulement la quintessence. Chacune de ses compositions est mélodiquement imparable et addictive, le parfait écrin pour des paroles d’une beauté quelques fois à peine soutenable. C’est, pour moi, ceci qui le met à part, ce qui l’élève au rang de ‘génie’ : Sa faculté à faire passer un nombre incroyable d’émotions complexes dans des phrases et des mélodies aussi simples… En vous remerciant, bonsoir !

criTiQue 0005 : En voiture Simone !

Salutations, J’ai eu du mal à croire en préparant (sommairement, je vous rassure) ce billet que c’était il y a six ans déjà …

« Funeral » est arrivé et comme c’est souvent le cas il a, quasiment immédiatement, divisé l’intelligentsia culturelle mondiale : chef-d’œuvre ou sous-merde ? Apparemment, il ne pouvait être que l’un ou l’autre…

Comme j’aime faire à part des autres, pour moi, Le premier LP des « Arcade Fire » n’était ni l’un…ni l’autre. Je suis resté insensible à ses sirènes pendant des mois et je dois bien avouer que, quand je me suis enfin décidé à lui prêter l’oreille, je n’étais pas prêt à le taxer de ‘sous-merde’ mais, ce que j’ai entendu n’a certainement pas changé mon horizon musicale…Le temps et les écoutes ont fait leur œuvre et même si ce n’est pas encore aujourd’hui que vous me verrez l’ériger au rang de miracle sonore, Il reste quand même parmi ce que j’ai entendu de meilleur sur la décennie

Ceci étant dit, je n’aurais pas aimé être Win Butler au moment d’accoucher de son successeur…

Bizarrement (ou pas) « Neon Bible » (sortis 3 ans plus tard) n’a réussi qu’a agrandir le fossé entre les sceptiques et les conquis et, de mon coté, j’ai mis encore plus de temps à me résoudre à me forger un avis…

Si je vous parle de ses prédécesseurs c’est pour mieux dire que « The Suburbs » (2010) m’a enfin permis de me faire une opinion sur ces deux opus et leurs auteurs.Je peux dire aujourd’hui qui je préfère largement le premier effort au deuxième (chose que je n’aurais pas été capable de faire la semaine passée) « Neon Bible » à un coté froid et grandiloquent qui le rend un tantinet inaccessible émotionnellement à mon goût (Ne criez pas à l’hérésie, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dis, cela reste un album très largement au dessus de la moyenne)Je ne sais pas comment les différents camps que divise ‘AC’ vont réagir à « The Suburbs », mais je dois avouer que, cette fois ci, je suis, pour ma part, conquis et convaincu. Le combo Québeco-Texano Canadien n’est peut-être pas (encore) un grand groupe mais il en a en tout cas l’étoffe

« La Banlieue » donc, là où le club des 7 (incluant, faut-il le rappeler, un couple et une fratrie) était encore une fois attendu au tournant.

(de façon plus assumée que ses prédécesseurs) « The Suburbs » est un album à thème, et sa grande réussite est de ne jamais laisser le dénominateur commun étouffer l’album. Chaque plage est prétexte à une exploration d’une des facettes du sujet par un retour dans le temps (très bien illustré sur la pochette) et le LP forme un tout cohérent qui est fait pour être écouté de bout en bout SANS, pour autant, qu’une chanson, sortie de son contexte, perde en qualité (ce qui n’est pas le cas, par exemple, sur l’excellent « The Hazards of Love » des « Decemberists »)

Cela sonne rarement comme un compliment, mais dans ce cas ci, il n’en est pas de beaucoup plus beau : Arcade Fire nous fait du « Arcade Fire », c'est-à-dire une musique inventive, mélodique, électrisante, et versatile…Il y a, toutefois, une différence de taille (par rapport aux précédents) dans les émotions qui en ressortent : Pour la première fois, en ce qui me concerne, la bande à Win arrive à partager. Ils nous invitent à voyager avec eux et leurs émotions, leurs souvenirs sont également les nôtres. C’est directement à leurs fans qu’ils essayent de s’adresser et non plus à eux-mêmes et si vous êtes déjà retourné dans le quartier de votre enfance pour y ressentir une vague de souvenirs teintés d’amertume et de regret de l’insouciance vous saisissez ce que je veux dire (D’ailleurs Spike Jonze en personne a dû la sentir car il se prépare à sortir un petit film coécrit avec Butler sensé être un support sonore sci-fi à l’album…bon, chacun son interprétation…)

Mais plus que tout « The Suburbs » est l’album d’un groupe qui assume son succès tout en restant fidèle à sa ligne artistique, plus ‘mainstream’ que les précédents, il en est pas moins intéressant, riche et envoutant…

En vous remerciant, bonsoir !