Salutations,
Il y a des choses dans la vie qui sont difficiles à assumer.
Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui pensait que c’était une bonne idée de déclarer fièrement qu’il possédait un compact disque des ‘Spice Girls’ ou qu’il connaissait par cœur ‘sensualité’ à un moment de son existence (toute ressemblance avec une personne existant ou ayant existé serait purement fortuite)… C’est pourtant une vérité immuable : on traine tous des petits coups de cœur honteux, souvenirs d’une vie antérieure que l’on n’arrive plus à connecter à nous-mêmes...
Et puis, il y aussi les plaisirs coupables ; les choses dont la popularité est tellement énorme qu’on a un peu honte de grossir les rangs de ceux qui se pâment devant ce qui a été identifié, à tort ou à raison, comme ‘cliché’.
De ce point de vue, et sans avoir l’air d’y toucher, parler d’« Euphoria », c’est exactement le même que de lancer bravement dans une conversation que l’on adore « Le cercle des poètes disparus »…
Vous vous rappelez ? Une dizaine d’ados dans les années 50 qui, n’écoutant que leur courage, se mettent debout sur leur banc d’école pour montrer à leur professeur déchu qu’ils ont l’intention de continuer à « cueillir le jour présent », et ce, malgré le traumatisant suicide de leur camarade de classe ne pouvant supporter d’être interdit par son père de jouer du théâtre…
Voilà, c’est ça, ce film-là !
Sérieux, même ceux qui n’ont pas vu le film connaissent la fin du ‘cercle des poètes’ : « Oh capitaine, mon capitaine ! »
(…Excusez mes larmes, c’était trop d’émotion d’un coup…)
C’en est presque écœurant tellement c’est mielleux…Et c’est grandiose !
Pourquoi ?
Je suis fatigué de me répéter, Jean-Pierre : dans toute fiction, plus le travail sur les personnages est réussi, plus l’émotion que l’on veut projeter (le rire, le drame, la peur,…) va faire son office !
N’en déplaise à certains, c’est sans aucun doute le cas pour le film de Peter Weir (1989… Yep, vous avez bien lu : le long-métrage les 35 ans !)
On a passé du temps avec eux, apprenant à connaître leurs failles, leurs espoirs et, surtout, leur envie d’émancipation de valeurs qui les oppressent… De fait, quand à la fin, après avoir été témoin de leurs petites victoires face à cette société qui veut leur imposer ses normes et les avoir vu subir un rappel brutal de son emprise sur leur vie ; ils nous montrent qu’ils ont irrémédiablement changé…
Il devient alors difficile (voir impossible) de ne pas être ému par ce « Oh capitaine, mon capitaine ! » (Pour citer un exemple : ma fille, qui avait 12 ans à l’époque, a regardé le film avec un ennui relatif mais a immanquablement trouvé la fin puissante)
Revenons à « Euphoria »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la série ‘HBO’ fait parler d’elle…et pas toujours en bon terme. (J’entends par là, en terme qui soit exact, d’où ce billet : si je ne rétablis pas la vérité, qui le fera ?)
La concomitance entre son énorme popularité, et la manière dont elle est réduite à ses aspects les plus sulfureux ; tout comme ‘poètes disparus’ en est souvent réduit à être décrit comme une histoire doucereuse avec Robin Williams, confère donc aux deux le titre réducteur de ‘plaisir coupable’ : un intérêt dont on se passe volontiers de parler (surtout si on a plus de 40 ans) sous peine de voir son interlocuteur rouler des yeux…
Cependant, il y une (autre) connexion évidente (même en prenant en considération les différences fondamentales entre 1959 et 2018) entre ce duo improbable (attention, je vais enfoncer une porte ouverte !) : leurs protagonistes respectifs sont à la recherche de leur identité.
Ce qui m’amène au sujet de cette ‘lluBiE’…
La chose que j’entends le plus autour de moi quand la série est évoquée, c’est : « c’est cliché à moooort ! »
Voyons : c’est l’histoire d’une addict aux drogues qui tombe amoureuse d’une fille transgenre et dont le groupe d’amis est composé d’une fille timide éclipsée par sa sœur, d’une pom-pom girl qui doit gérer les retombées de la diffusion de photos d’elle dénudée, d’une autre pom-pom qui sort ‘on and off’ avec le quaterback star du lycée, d’un revendeur de drogue et d’une fille ‘plus size’ qui va découvrir son pouvoir de séduction sur internet…
Bon, ok, difficile de conclure autrement : plus cliché, tu meurs !
Alors qu’est ce qui a fait d’« Euphoria » une de mes séries préférées ? (dans mon top 10 ? Ce n’est pas impossible !)
Il y a trois raisons à cela, Jean-Pierre :
(1) C’est presque élémentaire (ou ça devrait l’être en tout cas) : Sam Levinson (le fils de l’autre Levinson) le créateur-producteur-scénariste-réalisateur de cette série, utilise avec talent l’arme la plus puissante en matière de storytelling : le respect.
Je sais, dit comme ça, ça parait un peu con, genre : ‘Le gars, il respecte carrément ses personnages ?? Waaaaw !’
Pourtant, ça fait toute la différence ; car il les respecte malgré ce qu’ils sont…et ce n’est pas une mince affaire pour certains d’entre eux…
Le résultat ? Relativement rapidement (cela dépendra de votre sensibilité), vous oublierez que vous regardez une cheerleader ou une personne transgenre, un dealer ou un jock, un infidèle compulsif ou une poivrote ; c’est presque du ‘satisfait ou remboursé’ : vous arrêterez tout simplement de prendre ces stéréotypes en compte.
Ce que vous allez voir à la place, ce sont des portraits d’êtres humains qui dépassent largement le cadre des clichés qu’ils véhiculent : Levinson traite tous ses protagonistes avec une empathie sans réserve, et cette empathie finit par traverser l’écran pour nous remplir, nous habiter.
Mais comment fait-il, Madame ?
Là aussi, la réponse est censée couler de source (c’est pourtant loin d’être toujours le cas) : au fil des épisodes, des saisons ; il donne corps à ces chimères, il leur donne des nuances, des couches supplémentaires qu’il prend le temps de gratter, histoire de restituer à chacun(e) la complexité qui lui est propre.
Incroyable, non ? On est tellement biberonné au manichéisme, tellement habitué à ce que nos conclusions nous soient prémâchées pour qu’on puisse les avaler tout rond que ce rappel en passe pour fondamental : il y a toujours des raisons sous-jacentes à nos comportements, des plus basiques au plus extrêmes ; et si on prend le temps d’aller au-delà des apparences, ces raisons se révèlent souvent aussi complexes que touchantes.
Quand on arrive à assimiler cette évidence, on est alors crument pris à la gorge par ce rite de passage d’ado tentant, comme les ‘poètes disparus’ (et tant d’autres avant et après), de gérer ‘l’éternel retour’. (Concept cher à mon pote Nietzsche ; si ça vous interpelle, vous pouvez aller lire ça)
Cette documentation ne se limite méritoirement pas à la jeunesse ; on la continue à travers les parents qui semblent, quant à eux, en plein 'punch-drunk syndrome' : mis au tapis par la dissonance entre leur vie et leurs rêves adulescents…
Cela nous met face à l’inéluctable : on garde un rapport conflictuel avec cette injonction normative tout au long de notre existence.
L’exploration de ces vies donne l’impression d’être coincé dans un roller-coaster émotionnel, sans cesse forcé à revoir notre jugement sur cet ensemble : On les adore, on les déteste, on les admire, on les condamne ; ils nous ennuient, ils nous passionnent, ils sont frustrants, ils sont attachants… En un mot, ils nous bouleversent !
Ils nous bouleversent parce qu’ils sont dans un état de perpétuel questionnement ; comme je le disais plus avant, à l’instar de leurs comparses de 1959, ils sont en quête de réponses face à la question la plus angoissante de leur vie : « Qui suis-je ? »
Et c’est là qu’un autre tour de force s’opère : cet état ne nous est pas, contrairement à ce qui est beaucoup écrit, platement exposé par un simple enchainement de situations choquantes ou par une surexposition verbeuse de pathos !
Je sens déjà votre scepticisme ; j’étends clairement votre « et comment il fait, alors, ton Sam Levinson? »
Ne vous énervez pas, Madame, je m’en vais vous expliquer !
Son secret, c’est qu’il s’en remet à la puissance d’une magnifique mise en scène (2) : grâce à elle, on est littéralement baigné dans les émotions des personnages.
Le cadrage, les couleurs, le grain, le montage et la musique offrent une palette aussi subtile que versatile et les scènes s’enchainent avec une fluidité à peine croyable : tantôt féérique, parfois glauque ; intense et frénétique par moments mais aussi d’une sobriété parfaite quand il le faut.
Cette subjectivité assumée nous indique clairement que ce que l’on regarde n’est effectivement PAS la réalité, juste le point de vue de la personne que l’on observe.
Cela nous rappelle une vérité immuable : la manière dont on perçoit notre vie, notre bonheur, notre malheur ; est entièrement subjective…
Alors qu’est-ce qui fait tant de bruit ?
Ce n’est pas sorcier : « Euphoria » provoque des remous parce qu’elle traite de sujets éminemment complexes et cela met les gens de ma génération (et, par corollaire, celles d’avant) dans l’inconfort total.
Rien de neuf sous le soleil donc, nous avons été élevés comme ça : quand on n’est pas à l’aise avec quelque chose, on le rejette comme faux.
Bien conscient de cet état de fait, je pensais néanmoins (je suis décidément bien naïf) qu’un nombre non négligeable de mes contemporains était capable d’outrepasser ces biais… Quel ne fut pas mon désarroi de constater que ce n’était manifestement pas le cas ! A tel point que la série est régulièrement blâmée de faire « l’apologie de la drogue » !
Je parle bien évidemment de ‘Rue’, jouée par Zendaya…
Je ne vais pas trop m’attarder sur elles, je n’ai pas envie de transformer ce billet en pamphlet... Juste le temps de partager mon horreur face à la totale déshumanisation de ce personnage par la plupart des médias ; la récusation des enjeux par une machine à news qui se contente d’un jugement réducteur sur l’utilisation de la célébrité de son interprète afin de faire passer ‘la jeunesse’ pour dépravée...
(Pour paraphraser, cela donne immanquablement ceci : « C’est vrai qu’elle est courageuse Zendaya de se mettre de la morve au nez pour jouer les droguées ! Mais ça va trop loin ! Ce n’est pas la réalité ! Les jeunes, ils ne font pas que se droguer, se mettre à poil et déprimer ! »)
J’ai lu tant de variations de cette phrase que je me suis souvent demandé si j’avais vu la même chose que tout le monde... Quand je pense que beaucoup sont payés pour écrire des inepties pareilles, ça me déprime...
Comme expliqué au moment de parler de la mise en scène, la série nous montre très clairement qu’elle ne prétend PAS filmer la réalité ! That’s the whole point !
Ce qui est par contre bien réel, c’est l’avertissement clair sur les ravages de la drogue que le show déploie : je me suis plus d’une fois demandé si j’avais le cœur suffisamment accroché pour continuer de regarder cette fille se détruire en emportant avec elle tous ceux qu’elle aime…
Qui plus est, il me semble vivement avoir vu une série capable de légèreté, de beauté, d’espoir et d’excentricité…Je suis bien en peine d’expliquer pourquoi je ne retrouve pas ces notions dans la plupart des articles que je lis sur le show !
Bref, ceci étant dit, comme je l’ai déjà précisé plusieurs fois, ce salon n’est pas le lieu approprié pour déconstruire les raccourcis simplistes. Ces sujets doivent être adressés avec sérieux et profondeur, et ce n’est pas vraiment le style de la maison ; je préfère donc les laisser à ceux qui sauront les traiter comme il se doit...
Je disais donc : Zendaya...
Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que ça arrive, mais ça n’en reste pas moins dommage : cette focalisation sur une et une seule personne éclipse, de facto, le reste du cast (3) ; alors que celui-ci est la troisième bonne raison (sans ordre précis d’importance) de regarder « Euphoria » !
Effectivement, malgré les apparences, aucun personnage n’est facile à jouer dans cette série: ‘Maddy’ n’est pas plus simple à interpréter que ‘Rue’, ‘Cassie’ n’est pas moins intéressante que ‘Juls’ et ‘Fez’ a autant de nuances que ‘Nate’ ; et aucun des acteurs ne passe à côté de son sujet !
Tant Alexa Demie (‘Madeleine Perez’) que Sydney Sweeney (‘Cassandra Howard’) font un excellent travail avec ces pom-pom girls de prime abord totalement superficielles, alors que Angus Cloud (‘Fezco’) et, surtout, Hunter Schafer (‘Jules Vaughn’), qui sont pourtant des novices complets, font des merveilles.
Je ne vais également pas me priver de citer Maud Apatow (‘Alexis Howard’) ou Sophia Rose Wilson (‘Barbara Brooks’), généreuses et attachantes dans leur rôle de filles effacées qui cherchent à sortir de l’ombre ; et je ne vais pas non plus omettre Eric Dane (‘Cal Jacobs’) qui est absolument parfait dans le rôle du mâle prédateur dans tout ce qu’il a de détestable qui croule sous le poids de ses désillusions...Tant que je suis sur le sujet du mâle blessé, Jacob Elordi (‘Nathaniel Jacobs’), souffre un peu de la comparaison avec son père à l’écran, mais ce serait malhonnête de ne pas reconnaître le courage avec lequel il se donne dans un rôle on ne peut plus écœurant.
Impossible de terminer sans toucher un mot sur la performance de Zendaya (‘Ruby Bennett’), qui est absolument surnaturelle…
(Histoire que ce soit clair, je vais le dire : je suis fan ; elle mérite chaque prix, chaque compliment qu’elle reçoit pour cette composition.)
Car, peu importe mes sentiments personnels sur la surexposition de ce fait, sa personnification est bel et bien le symbole de la série ; et cette formidable actrice restitue avec une grâce fragile un fardeau à la fois fugace et magnifique : l’insoutenable légèreté de l'être.
Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui pensait que c’était une bonne idée de déclarer fièrement qu’il possédait un compact disque des ‘Spice Girls’ ou qu’il connaissait par cœur ‘sensualité’ à un moment de son existence (toute ressemblance avec une personne existant ou ayant existé serait purement fortuite)… C’est pourtant une vérité immuable : on traine tous des petits coups de cœur honteux, souvenirs d’une vie antérieure que l’on n’arrive plus à connecter à nous-mêmes...
Et puis, il y aussi les plaisirs coupables ; les choses dont la popularité est tellement énorme qu’on a un peu honte de grossir les rangs de ceux qui se pâment devant ce qui a été identifié, à tort ou à raison, comme ‘cliché’.
De ce point de vue, et sans avoir l’air d’y toucher, parler d’« Euphoria », c’est exactement le même que de lancer bravement dans une conversation que l’on adore « Le cercle des poètes disparus »…
Vous vous rappelez ? Une dizaine d’ados dans les années 50 qui, n’écoutant que leur courage, se mettent debout sur leur banc d’école pour montrer à leur professeur déchu qu’ils ont l’intention de continuer à « cueillir le jour présent », et ce, malgré le traumatisant suicide de leur camarade de classe ne pouvant supporter d’être interdit par son père de jouer du théâtre…
Voilà, c’est ça, ce film-là !
Sérieux, même ceux qui n’ont pas vu le film connaissent la fin du ‘cercle des poètes’ : « Oh capitaine, mon capitaine ! »
(…Excusez mes larmes, c’était trop d’émotion d’un coup…)
C’en est presque écœurant tellement c’est mielleux…Et c’est grandiose !
Pourquoi ?
Je suis fatigué de me répéter, Jean-Pierre : dans toute fiction, plus le travail sur les personnages est réussi, plus l’émotion que l’on veut projeter (le rire, le drame, la peur,…) va faire son office !
N’en déplaise à certains, c’est sans aucun doute le cas pour le film de Peter Weir (1989… Yep, vous avez bien lu : le long-métrage les 35 ans !)
On a passé du temps avec eux, apprenant à connaître leurs failles, leurs espoirs et, surtout, leur envie d’émancipation de valeurs qui les oppressent… De fait, quand à la fin, après avoir été témoin de leurs petites victoires face à cette société qui veut leur imposer ses normes et les avoir vu subir un rappel brutal de son emprise sur leur vie ; ils nous montrent qu’ils ont irrémédiablement changé…
Il devient alors difficile (voir impossible) de ne pas être ému par ce « Oh capitaine, mon capitaine ! » (Pour citer un exemple : ma fille, qui avait 12 ans à l’époque, a regardé le film avec un ennui relatif mais a immanquablement trouvé la fin puissante)
Revenons à « Euphoria »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la série ‘HBO’ fait parler d’elle…et pas toujours en bon terme. (J’entends par là, en terme qui soit exact, d’où ce billet : si je ne rétablis pas la vérité, qui le fera ?)
La concomitance entre son énorme popularité, et la manière dont elle est réduite à ses aspects les plus sulfureux ; tout comme ‘poètes disparus’ en est souvent réduit à être décrit comme une histoire doucereuse avec Robin Williams, confère donc aux deux le titre réducteur de ‘plaisir coupable’ : un intérêt dont on se passe volontiers de parler (surtout si on a plus de 40 ans) sous peine de voir son interlocuteur rouler des yeux…
Cependant, il y une (autre) connexion évidente (même en prenant en considération les différences fondamentales entre 1959 et 2018) entre ce duo improbable (attention, je vais enfoncer une porte ouverte !) : leurs protagonistes respectifs sont à la recherche de leur identité.
Ce qui m’amène au sujet de cette ‘lluBiE’…
La chose que j’entends le plus autour de moi quand la série est évoquée, c’est : « c’est cliché à moooort ! »
Voyons : c’est l’histoire d’une addict aux drogues qui tombe amoureuse d’une fille transgenre et dont le groupe d’amis est composé d’une fille timide éclipsée par sa sœur, d’une pom-pom girl qui doit gérer les retombées de la diffusion de photos d’elle dénudée, d’une autre pom-pom qui sort ‘on and off’ avec le quaterback star du lycée, d’un revendeur de drogue et d’une fille ‘plus size’ qui va découvrir son pouvoir de séduction sur internet…
Bon, ok, difficile de conclure autrement : plus cliché, tu meurs !
Alors qu’est ce qui a fait d’« Euphoria » une de mes séries préférées ? (dans mon top 10 ? Ce n’est pas impossible !)
Il y a trois raisons à cela, Jean-Pierre :
(1) C’est presque élémentaire (ou ça devrait l’être en tout cas) : Sam Levinson (le fils de l’autre Levinson) le créateur-producteur-scénariste-réalisateur de cette série, utilise avec talent l’arme la plus puissante en matière de storytelling : le respect.
Je sais, dit comme ça, ça parait un peu con, genre : ‘Le gars, il respecte carrément ses personnages ?? Waaaaw !’
Pourtant, ça fait toute la différence ; car il les respecte malgré ce qu’ils sont…et ce n’est pas une mince affaire pour certains d’entre eux…
Le résultat ? Relativement rapidement (cela dépendra de votre sensibilité), vous oublierez que vous regardez une cheerleader ou une personne transgenre, un dealer ou un jock, un infidèle compulsif ou une poivrote ; c’est presque du ‘satisfait ou remboursé’ : vous arrêterez tout simplement de prendre ces stéréotypes en compte.
Ce que vous allez voir à la place, ce sont des portraits d’êtres humains qui dépassent largement le cadre des clichés qu’ils véhiculent : Levinson traite tous ses protagonistes avec une empathie sans réserve, et cette empathie finit par traverser l’écran pour nous remplir, nous habiter.
Mais comment fait-il, Madame ?
Là aussi, la réponse est censée couler de source (c’est pourtant loin d’être toujours le cas) : au fil des épisodes, des saisons ; il donne corps à ces chimères, il leur donne des nuances, des couches supplémentaires qu’il prend le temps de gratter, histoire de restituer à chacun(e) la complexité qui lui est propre.
Incroyable, non ? On est tellement biberonné au manichéisme, tellement habitué à ce que nos conclusions nous soient prémâchées pour qu’on puisse les avaler tout rond que ce rappel en passe pour fondamental : il y a toujours des raisons sous-jacentes à nos comportements, des plus basiques au plus extrêmes ; et si on prend le temps d’aller au-delà des apparences, ces raisons se révèlent souvent aussi complexes que touchantes.
Quand on arrive à assimiler cette évidence, on est alors crument pris à la gorge par ce rite de passage d’ado tentant, comme les ‘poètes disparus’ (et tant d’autres avant et après), de gérer ‘l’éternel retour’. (Concept cher à mon pote Nietzsche ; si ça vous interpelle, vous pouvez aller lire ça)
Cette documentation ne se limite méritoirement pas à la jeunesse ; on la continue à travers les parents qui semblent, quant à eux, en plein 'punch-drunk syndrome' : mis au tapis par la dissonance entre leur vie et leurs rêves adulescents…
Cela nous met face à l’inéluctable : on garde un rapport conflictuel avec cette injonction normative tout au long de notre existence.
L’exploration de ces vies donne l’impression d’être coincé dans un roller-coaster émotionnel, sans cesse forcé à revoir notre jugement sur cet ensemble : On les adore, on les déteste, on les admire, on les condamne ; ils nous ennuient, ils nous passionnent, ils sont frustrants, ils sont attachants… En un mot, ils nous bouleversent !
Ils nous bouleversent parce qu’ils sont dans un état de perpétuel questionnement ; comme je le disais plus avant, à l’instar de leurs comparses de 1959, ils sont en quête de réponses face à la question la plus angoissante de leur vie : « Qui suis-je ? »
Et c’est là qu’un autre tour de force s’opère : cet état ne nous est pas, contrairement à ce qui est beaucoup écrit, platement exposé par un simple enchainement de situations choquantes ou par une surexposition verbeuse de pathos !
Je sens déjà votre scepticisme ; j’étends clairement votre « et comment il fait, alors, ton Sam Levinson? »
Ne vous énervez pas, Madame, je m’en vais vous expliquer !
Son secret, c’est qu’il s’en remet à la puissance d’une magnifique mise en scène (2) : grâce à elle, on est littéralement baigné dans les émotions des personnages.
Le cadrage, les couleurs, le grain, le montage et la musique offrent une palette aussi subtile que versatile et les scènes s’enchainent avec une fluidité à peine croyable : tantôt féérique, parfois glauque ; intense et frénétique par moments mais aussi d’une sobriété parfaite quand il le faut.
Cette subjectivité assumée nous indique clairement que ce que l’on regarde n’est effectivement PAS la réalité, juste le point de vue de la personne que l’on observe.
Cela nous rappelle une vérité immuable : la manière dont on perçoit notre vie, notre bonheur, notre malheur ; est entièrement subjective…
Alors qu’est-ce qui fait tant de bruit ?
Ce n’est pas sorcier : « Euphoria » provoque des remous parce qu’elle traite de sujets éminemment complexes et cela met les gens de ma génération (et, par corollaire, celles d’avant) dans l’inconfort total.
Rien de neuf sous le soleil donc, nous avons été élevés comme ça : quand on n’est pas à l’aise avec quelque chose, on le rejette comme faux.
Bien conscient de cet état de fait, je pensais néanmoins (je suis décidément bien naïf) qu’un nombre non négligeable de mes contemporains était capable d’outrepasser ces biais… Quel ne fut pas mon désarroi de constater que ce n’était manifestement pas le cas ! A tel point que la série est régulièrement blâmée de faire « l’apologie de la drogue » !
Je parle bien évidemment de ‘Rue’, jouée par Zendaya…
Je ne vais pas trop m’attarder sur elles, je n’ai pas envie de transformer ce billet en pamphlet... Juste le temps de partager mon horreur face à la totale déshumanisation de ce personnage par la plupart des médias ; la récusation des enjeux par une machine à news qui se contente d’un jugement réducteur sur l’utilisation de la célébrité de son interprète afin de faire passer ‘la jeunesse’ pour dépravée...
(Pour paraphraser, cela donne immanquablement ceci : « C’est vrai qu’elle est courageuse Zendaya de se mettre de la morve au nez pour jouer les droguées ! Mais ça va trop loin ! Ce n’est pas la réalité ! Les jeunes, ils ne font pas que se droguer, se mettre à poil et déprimer ! »)
J’ai lu tant de variations de cette phrase que je me suis souvent demandé si j’avais vu la même chose que tout le monde... Quand je pense que beaucoup sont payés pour écrire des inepties pareilles, ça me déprime...
Comme expliqué au moment de parler de la mise en scène, la série nous montre très clairement qu’elle ne prétend PAS filmer la réalité ! That’s the whole point !
Ce qui est par contre bien réel, c’est l’avertissement clair sur les ravages de la drogue que le show déploie : je me suis plus d’une fois demandé si j’avais le cœur suffisamment accroché pour continuer de regarder cette fille se détruire en emportant avec elle tous ceux qu’elle aime…
Qui plus est, il me semble vivement avoir vu une série capable de légèreté, de beauté, d’espoir et d’excentricité…Je suis bien en peine d’expliquer pourquoi je ne retrouve pas ces notions dans la plupart des articles que je lis sur le show !
Bref, ceci étant dit, comme je l’ai déjà précisé plusieurs fois, ce salon n’est pas le lieu approprié pour déconstruire les raccourcis simplistes. Ces sujets doivent être adressés avec sérieux et profondeur, et ce n’est pas vraiment le style de la maison ; je préfère donc les laisser à ceux qui sauront les traiter comme il se doit...
Je disais donc : Zendaya...
Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que ça arrive, mais ça n’en reste pas moins dommage : cette focalisation sur une et une seule personne éclipse, de facto, le reste du cast (3) ; alors que celui-ci est la troisième bonne raison (sans ordre précis d’importance) de regarder « Euphoria » !
Effectivement, malgré les apparences, aucun personnage n’est facile à jouer dans cette série: ‘Maddy’ n’est pas plus simple à interpréter que ‘Rue’, ‘Cassie’ n’est pas moins intéressante que ‘Juls’ et ‘Fez’ a autant de nuances que ‘Nate’ ; et aucun des acteurs ne passe à côté de son sujet !
Tant Alexa Demie (‘Madeleine Perez’) que Sydney Sweeney (‘Cassandra Howard’) font un excellent travail avec ces pom-pom girls de prime abord totalement superficielles, alors que Angus Cloud (‘Fezco’) et, surtout, Hunter Schafer (‘Jules Vaughn’), qui sont pourtant des novices complets, font des merveilles.
Je ne vais également pas me priver de citer Maud Apatow (‘Alexis Howard’) ou Sophia Rose Wilson (‘Barbara Brooks’), généreuses et attachantes dans leur rôle de filles effacées qui cherchent à sortir de l’ombre ; et je ne vais pas non plus omettre Eric Dane (‘Cal Jacobs’) qui est absolument parfait dans le rôle du mâle prédateur dans tout ce qu’il a de détestable qui croule sous le poids de ses désillusions...Tant que je suis sur le sujet du mâle blessé, Jacob Elordi (‘Nathaniel Jacobs’), souffre un peu de la comparaison avec son père à l’écran, mais ce serait malhonnête de ne pas reconnaître le courage avec lequel il se donne dans un rôle on ne peut plus écœurant.
Impossible de terminer sans toucher un mot sur la performance de Zendaya (‘Ruby Bennett’), qui est absolument surnaturelle…
(Histoire que ce soit clair, je vais le dire : je suis fan ; elle mérite chaque prix, chaque compliment qu’elle reçoit pour cette composition.)
Car, peu importe mes sentiments personnels sur la surexposition de ce fait, sa personnification est bel et bien le symbole de la série ; et cette formidable actrice restitue avec une grâce fragile un fardeau à la fois fugace et magnifique : l’insoutenable légèreté de l'être.
En vous remerciant, bonsoir !
Vraiment très intéressant de lire ton article et ta vision de la série ! De mon côté, je n'ai pas réussi à dépasser tout ce qui fait sa "patte" : cette esthétique si marquée, ce traitement allusif des personnages et des histoires... Je n'ai pas ressenti l'essence de cette quête d'identité. Pas de révélation au visionnage donc, mais à lire des avis aussi argumentés que le tien sur Euphoria me pousse à m'interroger.
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